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un énorme serpent est sorti des broussailles et s’est avancé lentement, en rampant sur le sable, jusque sous les pieds du cheval d’Ibrahim ; le cheval, épouvanté, s’est cabré, et quelques esclaves qui suivaient à pied le pacha se sont élancés pour tuer le serpent ; mais Ibrahim les a arrêtés d’un geste, et, tirant son sabre, il a coupé la tête du reptile qui se dressait devant lui, et a foulé les tronçons sous les pieds de son cheval : la foule a poussé un cri d’admiration, et Ibrahim, le sourire sur les lèvres, a continué sa route, enchanté de cette circonstance, qui est l’augure assuré de la victoire chez les Arabes. Ce peuple ne voit aucun incident de la vie, aucun phénomène naturel, sans y attacher un sens prophétique et moral : est-ce un souvenir confus de cette première langue plus parfaite qu’entendaient jadis les hommes, langue dans laquelle toute la nature s’expliquait par toute la nature ? est-ce une vivacité d’imagination plus grande, qui cherche entre les choses des corrélations qu’il n’est pas donné à l’homme de saisir ? Je ne sais, mais je penche pour la première interprétation : l’humanité n’a pas d’instincts sans motifs, sans but, sans cause ; l’instinct de la divination a tourmenté tous les âges et tous les peuples, surtout les peuples primitifs ; la divination a donc dû ou pourrait donc peut-être exister ; mais c’est une langue dont l’homme aura perdu la clef en sortant de cet état supérieur, de cet Éden dont tous les peuples ont une confuse tradition : alors, sans doute, la nature parlait plus haut et plus clair à son esprit ; l’homme concevait la relation cachée de tous les faits naturels, et leur enchaînement pouvait le conduire à la perception de vérités ou d’événements futurs, car le présent est toujours le germe générateur et infaillible de l’avenir ; il ne s’agit que de le voir et de le comprendre.