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ouvriers arabes, une espèce de villa italienne comme celles que nous avons si délicieusement habitées sur les montagnes de Lucques ou sur les côtes de Livourne, en d’autres temps. Chacun de nous a son appartement ; et un salon, précédé d’une terrasse ornée de fleurs, est le centre de réunion. Nous y avons établi des divans ; nous y avons rangé sur des tablettes notre bibliothèque du vaisseau ; ma femme et Julia ont peint les murs à fresque, ont étalé, sur une table de cèdre, leurs livres, leurs nécessaires, et tous ces petits objets de femmes qui ornent, à Londres et à Paris, les tables de marbre et d’acajou : c’est là que nous nous rassemblons dans les heures brûlantes du jour, car le soir notre salon est en plein air, sur la terrasse même ; c’est là que nous recevons les visites de tous les Européens que le commerce avec Damas, dont Bayruth est l’échelle, fixe dans ce beau pays. Le gouverneur égyptien pour Ibrahim-Pacha est venu nous offrir, avec une grâce et une cordialité plus qu’européennes, sa protection et ses services pour le séjour et pour les voyages que nous voudrions tenter. Je lui ai donné à dîner aujourd’hui : c’est un homme qui ne déparerait aucune réunion d’hommes nulle part. Vieux soldat du pacha d’Égypte, il a pour son maître, et surtout pour Ibrahim, ce dévouement aveugle et confiant dans la fortune que je me souviens d’avoir vu jadis dans les généraux de l’empereur ; mais ce dévouement turc a quelque chose de plus touchant et de plus noble, parce qu’il tient à un sentiment religieux, et non à un intérêt personnel. Ibrahim-Pacha, c’est la destinée, c’est Allah pour ses officiers ; Napoléon, ce n’était que la gloire et l’ambition pour les siens. Il a bu avec plaisir du vin de Champagne, et s’est prêté à tous nos usages comme s’il n’en avait jamais connu d’autres ; les pipes et le café,