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le faire. Je me rassurais ; je me disais : C’est un ange visible qui protége à la fois sa propre destinée et toutes les nôtres. Le ciel nous comptera son innocence et sa pureté pour rançon ; il nous mènera, il nous ramènera à cause d’elle. Elle aura vu au plus bel âge de la vie, à cet âge où toutes les impressions s’incorporent, pour ainsi dire, avec nous, et deviennent les éléments mêmes de notre existence, elle aura vu tout ce qu’il y a de beau dans la nature, dans la création ; les souvenirs de son enfance seront les monuments merveilleux, les chefs-d’œuvre des arts en Italie ; Athènes et le Parthénon seront gravés dans sa mémoire, comme des sites paternels ; les belles îles de l’Archipel, le mont Taurus, les montagnes du Liban, Jérusalem, les Pyramides, le désert, les tentes de l’Arabe, les palmiers de la Mésopotamie, seront les récits de son âge avancé. Dieu lui a donné la beauté, l’innocence, le génie, et un cœur où tout s’allume en sentiments généreux et sublimes ; je lui aurai donné, moi, ce que je pouvais ajouter à ces dons célestes : le spectacle des scènes les plus merveilleuses, les plus enchantées de la terre. Quel être ce sera à vingt ans ! Tout aura été bonheur, piété, amour et merveilles dans sa vie ! Oh ! qui sera digne de la compléter par l’amour ? Je pleurais, et je priais avec ferveur et confiance ; car je ne puis jamais avoir un sentiment fort dans le cœur, sans qu’il tende à l’infini, sans qu’il se résolve en un hymne ou en une invocation à Celui qui est la fin de tous nos sentiments, à Celui qui les produit et qui les absorbe tous : à Dieu !

Comme j’allais m’endormir, j’entendis sur le pont quelques pas précipités, comme pour une manœuvre : je fus étonné, car le silence était complet depuis longtemps, et la