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rabougris qui pendent eux-mêmes, avec leurs rameaux tortueux et leurs larges feuilles grises, sur le gouffre bruyant qui tournoie à leurs pieds. L’œil ne peut discerner aucun sentier, aucun escarpement praticable par où l’on puisse parvenir à ce petit tertre de végétation. Cependant on distingue une petite maison basse sous les figuiers, maison grise et sombre comme le roc qui lui sert de base, et avec lequel on la confond au premier regard. Au-dessus du toit plat de la maison s’élève une petite ogive vide, comme au-dessus de la porte des couvents d’Italie : une cloche y est suspendue ; à droite, on voit des ruines antiques de fondation de briques rouges, où trois arcades sont ouvertes ; elles conduisent à une petite terrasse qui s’étend devant la maison. Un aigle aurait craint de bâtir son aire dans un tel endroit, sans un tronc d’arbre, sans un buisson pour s’abriter du vent qui rugit toujours, du bruit éternel de la mer qui brise, de son écume qui lèche sans relâche le rocher poli, sous un ciel toujours brûlant. Eh bien ! un homme a fait ce que l’oiseau même aurait à peine osé faire : il a choisi cet asile. Il vit là : nous l’aperçûmes ; c’est un ermite. Nous doublions le cap de si près, que nous distinguions sa longue barbe blanche, son bâton, son chapelet, son capuchon de feutre brun, semblable à celui des matelots en hiver. Il se mit à genoux pendant que nous passions, le visage tourné vers la mer, comme s’il eût imploré le secours du ciel pour des étrangers inconnus dans ce périlleux passage. Le vent, qui s’échappe avec fureur des gorges de la Laconie aussitôt qu’on a doublé le rocher du cap, commençait à résonner dans nos voiles, à faire chanceler et tournoyer les deux bâtiments, et à couvrir la mer d’écume à perte de vue. Une nouvelle mer s’ouvrait devant nous. L’ermite monta, pour