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Ce sort ne vaut-il pas les berceaux triomphants ?
Toujours l’ombre d’un trône est fatale aux enfants ;
Toujours des Tigellins l’haleine empoisonnée
Tue avant le printemps les germes de l’année !
Qu’il grandisse au soleil, à l’air libre, aux autans ;
Qu’il lutte sans cuirasse avec l’esprit du temps ;
De quelque nom qu’amour, haine, ou pitié le nomme,
Néant ou majesté, roi proscrit, qu’il soit homme !
D’un trône dévorant qu’il ne soit pas jaloux :
La puissance est au sort, nos vertus sont à nous.
Qu’il console à lui seul son errante famille ;
Plus obscure est la nuit, et plus l’étoile y brille !
Et si, comme un timide et faible passager
Que l’on jette à la mer à l’heure du danger,
La liberté, prenant un enfant pour victime,
Le jette au gouffre ouvert pour refermer l’abîme,
Qu’il y tombe sans peur, qu’il y dorme innocent
De ce qu’un trône coûte à recrépir de sang ;
Qu’il s’égale à son sort, au plus haut comme au pire ;
Qu’il ne se pèse pas, enfant, contre un empire ;
Qu’à l’humanité seule il résigne ses droits !
Jamais le sang du peuple a-t-il sacré les rois ?

Mais adieu ! d’un cœur plein l’eau déborde, et j’oublie
Que ta voile frissonne aux brises d’Italie,
Et t’enlève à la scène où s’agite le sort,
Comme l’aile du cygne à la vase du bord.
Vénérable vieillard, poursuis ton doux voyage !
Que le vent du midi dérobe à chaque plage
L’air vital de ces mers que tu vas respirer ;
Que l’oranger s’effeuille afin de t’enivrer ;
Que dans chaque horizon ta paupière ravie
Boive avec la lumière une goutte de vie !