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Dans leurs gouffres béants englouti plus de mâts,
Porté l’homme plus haut pour le lancer plus bas,
Noyé plus de fortune, et sur plus de rivages
Poussé plus de débris et d’illustres naufrages :
Tous les royaumes veufs d’hommes-rois sont peuplés ;
Ils échangent entre eux leurs maîtres exilés.
J’ai vu l’ombre des Stuarts, veuve du triple empire,
Mendier le soleil et l’air qu’elle respire,
L’héritier de l’Europe et de Napoléon
Déshérité du monde et déchu de son nom,
De peur qu’un si grand nom, qui seul tient une histoire,
N’eût un trop frêle écho d’un si grand son de gloire.

Et toi-même, en montant au sommet de tes tours,
Tu peux voir le plus grand des débris de nos jours,
De leur soleil natal deux plantes orphelines
Du palais d’Édimbourg couronner les ruines !…
Ah ! lorsque, réchappant des fentes d’un tombeau,
Cette tige naissait sous un rayon plus beau ;
Quand la France, envoyant ses salves à l’Europe,
Annonçait son miracle aux flots de Parthénope ;
Quand moi-même, d’un vers pressé de le bénir
Sur un fils du destin j’invoquais l’avenir,
Je ne me doutais pas qu’avec tant d’espérance
Le vent de la fortune, hélas ! jouait d’avance,
Emportant tant de joie et tant de vœux dans l’air
Avec le bruit du bronze et son rapide éclair,
Et qu’avant que l’enfant pût manier ses armes
Les bardes sur son sort n’auraient plus que des larmes !…
Des larmes ? Non, leur lyre a de plus nobles voix :
Ah ! s’il échappe au trône, écueil de tant de rois ;
Si, comme un nourrisson qu’on jette à la lionne,
À la rude infortune à nourrir Dieu le donne,