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Et je te forcerais, toi qui veux la quitter,
À respirer ta gloire avant de la jeter !

Cette gloire sans tache et ces jours sans nuage
N’ont point pour ta mémoire à déchirer de page ;
La main du tendre enfant peut t’ouvrir au hasard,
Sans qu’un mot corrupteur étonne son regard,
Sans que de tes tableaux la suave décence
Fasse rougir un front couronné d’innocence ;
Sur la table du soir, dans la veillée admis,
La famille te compte au nombre des amis,
Se fie à ton honneur, et laisse sans scrupule
Passer de main en main le livre qui circule ;
La vierge, en te lisant, qui ralentit son pas,
Si sa mère survient ne te dérobe pas,
Mais relit au grand jour le passage qu’elle aime,
Comme en face du ciel tu l’écrivis toi-même,
Et s’endort aussi pure après t’avoir fermé,
Mais de grâce et d’amour le cœur plus parfumé.
Un Dieu descend toujours pour dénouer ton drame ;
Toujours la Providence y veille et nous proclame
Cette justice occulte et ce divin ressort
Qui fait jouer le temps et gouverne le sort ;
Dans les cent mille aspects de ta gloire infinie,
C’est toujours la raison qui guide ton génie.
Ce n’est pas du désert le cheval indompté
Traînant de Mazeppa le corps ensanglanté,
Et, comme le torrent tombant de cime en cime,
Précipitant son maître au trône ou dans l’abîme :
C’est le coursier de Job, fier, mais obéissant,
Faisant sonner du pied le sol retentissant,
Se fiant à ses flancs comme l’aigle à son aile,
Prêtant sa bouche au frein et son dos à la selle ;