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Musique de l’esprit, brise des temps passés,
Dont nos soucis dormants étaient si bien bercés ;
Heures de solitude et de mélancolie,
Heures des nuits sans fin que le sommeil oublie,
Heures de triste attente, hélas ! qu’il faut tromper,
Heures à la main vide et qu’il faut occuper,
Fantômes de l’esprit que l’ennui fait éclore,
Vides de la pensée où le cœur se dévore,
Le conteur a fini : vous n’aurez plus sa voix,
Et le temps va sur nous peser de tout son poids.

Ainsi tout a son terme, et tout cesse, et tout s’use.
À ce terrible aveu notre esprit se refuse :
Nous croyons en tournant les feuillets de nos jours
Que les pages sans fin en tourneront toujours ;
Nous croyons que cet arbre au dôme frais et sombre,
Dont nos jeunes amours cherchent la mousse et l’ombre.
Sous ses rameaux tendus doit éternellement
Balancer le zéphyr sur le front de l’amant ;
Nous croyons que ce flot qui court, murmure et brille,
Et du bateau bercé caresse en paix la quille,
Doit à jamais briller, murmurer et flotter,
Et sur sa molle écume à jamais nous porter ;
Nous croyons que le livre où notre âme se plonge,
Et comme en un sommeil nage de songe en songe,
Doit dérouler sans fin cette prose ou ces vers,
Horizons enchantés d’un magique univers :
Mensonges de l’esprit, illusion et ruse
Dont pour nous retenir ici-bas la vie use !
Hélas ! tout finit vite : encore un peu de temps,
L’arbre s’effeuille et sèche, et jaunit le printemps ;
La vague arrive en poudre à son dernier rivage,
L’âme à l’ennui, le livre à sa dernière page.