Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 5.djvu/495

Cette page n’a pas encore été corrigée


Interrompant la chanson qui commence.
Le mousse alors répond au matelot :
« Je ne vois rien qu’un océan immense
Où chaque siècle est perdu comme un flot :
Gouffre sans fond qu’un ciel d’airain surplombe,
Tombeau des mois, des cités, des États.
— L’arche du monde attend une colombe ;
Enfant des mers, ne vois-tu rien là-bas ?

— Je vois au loin lutter contre l’orage,
Sur un radeau, d’infortunés proscrits,
Lambeaux sacrés d’un immortel naufrage,
De la Pologne héroïques débris ;
Peuple qui vient, la poitrine meurtrie,
A nos foyers raconter ses combats.
— Aux exilés Dieu rendra la patrie !
Enfant des mers, ne vois-tu rien là-bas ?

— Je vois le Nord fondre comme un corsaire
Sur l’Orient, vieillard sans avenir,
Qui dans le sang du fougueux janissaire
Baigna ses pieds et crut se rajeunir.
Quel bruit semblable à la foudre qui roule
A notre oreille éclate avec fracas ?
— Sur l’Alcoran c’est le sérail qui croule.
Enfant des mers, ne vois-tu rien là-bas ?

— Je vois encore une terre féconde,
Où l’oranger fleurit près des jasmins,
Terre d’amour qu’un soleil pur inonde
Et que ses fils déchirent de leurs mains.