Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 5.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Pour moi, tremblant encor du nom qu’elle a porté,
J’aborde ses autels avec timidité,
Craignant à chaque instant qu’arraché de sa base,
Le dieu mal affermi ne tombe et nous écrase.
Le siècle où je naquis excuse mes terreurs :
J’entendais au berceau le bruit de ses fureurs ;
Son arbre, dont le sang arrosait les racines,
Portait, au lieu de fruits, la mort et les rapines.
Pour la première fois quand j’invoquai son nom,
Ce fut sous les verrous d’une indigne prison,
Dans les étroits guichets du cachot solitaire :
Elle me disputait aux baisers de mon père,
Qui, caressant son fils à travers les barreaux,
Payait d’un reste d’or la pitié des bourreaux.
Je vis en grandissant, je vis sa main sanglante
Arracher des autels la prière tremblante,
Souiller, jeter au vent la cendre des tombeaux,
Des temples avilis disperser les lambeaux,
Et, le pied chancelant des suites d’une orgie,
Couvrant ses cheveux plats du bonnet de Phrygie,
Au long cri de la mort, à sa voix renaissant,
Danser sous l’échafaud qui ruisselait de sang.
Oui, voilà sous quels traits, dans ma sombre pensée,
Par la main du malheur son image est tracée.
Pardonne, ô Liberté ! Pour effacer ces traits,
Il faut, il faut au moins un siècle de bienfaits.

Hâte ces jours heureux, toi qui chantes sa gloire !
Mêle une page blanche à sa funèbre histoire !
Qu’on la voie en tes vers, vierge de sang humain,
Rejeter ce poignard qui ruisselle en sa main ;
Devant un sceptre juste incliner un front libre ;
De la force et du droit maintenir l’équilibre ;