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D’un grand forfait de gloire il faut être coupables.
L’ostracisme n’écrit que des rois sur ses tables.
Pour nous, sujets obscurs du jour qui va finir.
Laissons aux immortels leur loi dans l’avenir.
Buvons sans murmurer le nectar ou la fange,
Et ne nous flattons pas que le siècle nous venge.

Nous venger ? l’avenir ? lui, gros d’un univers ?
Lui, dans ses grandes mains peser nos petits vers.
Lui, s’arrêter un jour dans sa course éternelle
Pour revoir ce qu’une heure a broyé sous son aile ?
Pour exhumer du fond de l’insondable oubli
La page où du lecteur le doigt a fait un pli ?
Pour décider au nom de la race future
Si l’hémistiche impie offensa la césure,
Ou si d’un feuilleton les arrêts en lambeaux
Ont fait tort d’une rime aux morts dans leurs tombeaux ?

Quoi qu’en disent là-haut les scribes dans leurs sphères,
L’avenir, mes amis, aura d’autres affaires ;
Il aura bien assez de sa tâche au soleil
Sans venir remuer nos vers dans leur sommeil.
Jamais le lit trop plein de l’océan des âges
De flots plus débordants ne battit ses rivages ;
Jamais le doigt divin à l’éternel torrent
N’imprima dans sa fuite un plus fougueux courant :
On dirait qu’amoureux de l’œuvre qu’il consomme
L’esprit de Dieu, pressé, presse l’esprit de l’homme,
Et, trouvant l’œuvre longue et les soleils trop courts.
Dans l’œuvre qu’il condense accumule les jours.
Que d’œuvres à finir, que d’œuvres commencées
Lèguent au lendemain nos mourantes pensées !