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Et tout était sourire et grâce sur mes lèvres ;
Et, semblable au berger qui rappelle ses chèvres
Et rassemble au bercail les petits des troupeaux,
Tous mes sens rappelaient mon esprit au repos.
Je bénissais Celui dont l’immense nature
Prête place au soleil à chaque créature,
Et la terre de Dieu qui, du val au coteau,
A pour nous cacher tous un coin de son manteau ;
Et je ne savais pas, dans ma paisible extase,
Si quelque ver rongeur piquait au cœur ma phrase,
Si l’encre à flots épais distillait du flacon
Pour faire sur la feuille une tache à mon nom ;
Ou si quelque journal aux doctrines ridées,
Comme les factions enrôlant les idées,
Condamnait ma pensée à tenir dans l’esprit
Et dans l’étroit pathos de l’orateur inscrit,
Et jetait sur mon vers ou sur ma prose indigne
L’ombre de ces grands noms qu’un gérant contre-signe :
Le Courrier m’eût privé de feu, de sel et d’eau,
Que le jour sur mon front n’eût pas brillé moins beau.

Oh ! nous sommes heureux parmi les créatures,
Nous à qui notre mère a donné deux natures,
Et qui pouvons, au gré de nos instincts divers,
Passer d’un monde à l’autre et changer d’univers !
Lorsque nos pieds saignant dans les sentiers de l’homme
Ont usé cette ardeur que le soleil consomme,
Notre âme, à ces labeurs disant un court adieu,
Prend son aile et s’enfuit dans les œuvres de Dieu ;
La contemplation qui l’enlève à la terre
Lui découvre la source où l’eau la désaltère ;
Puis, quand la solitude a rafraîchi ses sens,
Son courage l’appelle et lui dit : « Redescends ! »