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Jeune, j’ai partagé le délire et la faute,
J’ai crié ma misère, hélas ! à voix trop haute,
Mon âme s’est brisée avec son propre cri !
De l’univers sensible atome insaisissable,
Devant le grand soleil j’ai mis mon grain de sable,
          Croyant mettre un monde à l’abri.

Puis mon cœur, moins sensible à ses propres misères,
S’est élargi plus tard aux douleurs de mes frères ;
Tous leurs maux ont coulé dans le lac de mes pleurs,
Et, comme un grand linceul que la pitié déroule,
L’âme d’un seul, ouverte aux plaintes de la foule,
          A gémi toutes les douleurs.

Alors dans le grand tout mon âme répandue
A fondu, faible goutte au sein des mers perdue
Que roule l’Océan, insensible fardeau !
Mais où l’impulsion sereine ou convulsive,
Qui de l’abîme entier de vague en vague arrive,
          Palpite dans la goutte d’eau.

Alors, par la vertu, la pitié m’a fait homme ;
J’ai conçu la douleur du nom dont on le nomme,
J’ai sué sa sueur et j’ai saigné son sang
Passé, présent, futur, ont frémi sur ma fibre
Comme vient retentir le moindre son qui vibre
          Sur un métal retentissant.

Alors j’ai bien compris par quel divin mystère
Un seul cœur incarnait tous les maux de la terre,
Et comment, d’une croix jusqu’à l’éternité,
Du cri du Golgotha la tristesse infinie
Avait pu contenir seule assez d’agonie
          Pour exprimer l’humanité !…