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Dans l’être universel au lieu de me répandre,
Pour tout sentir en lui, tout souffrir, tout comprendre,
Je resserrais en moi l’univers amoindri ;
Dans l’égoïsme étroit d’une fausse pensée
La douleur en moi seul, par l’orgueil condensée,
          Ne jetait à Dieu que mon cri.

Ma personnalité remplissait la nature,
On eût dit qu’avant elle aucune créature
N’avait vécu, souffert, aimé, perdu, gémi !
Que j’étais à moi seul le mot du grand mystère,
Et que toute pitié du ciel et de la terre
          Dût rayonner sur ma fourmi !

Pardonnez-moi, mon Dieu ! tout homme ainsi commence ;
Le retentissement universel, immense,
Ne fait vibrer d’abord que ce qui sent en lui ;
De son être souffrant l’impression profonde,
Dans sa neuve énergie, absorbe en lui le monde,
          Et lui cache les maux d’autrui.

Comme Pygmalion, contemplant sa statue,
Et promenant sa main sous sa mamelle nue
Pour savoir si ce marbre enferme un cœur humain,
L’humanité pour lui n’est qu’un bloc sympathique
Qui, comme la Vénus du statuaire antique,
          Ne palpite que sous sa main.

Ô honte ! ô repentir ! quoi, ce souffle éphémère
Qui gémit en sortant du ventre de sa mère,
Croirait tout étouffer sous le bruit d’un seul cœur ?
Hâtons-nous d’expier cette erreur d’un insecte,
Et, pour que Dieu l’écoute et l’ange le respecte,
          Perdons nos voix dans le grand chœur !