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sagesse humaine du genre humain dépouillée des erreurs de chaque siècle et de chaque secte, datant de la raison humaine, et venant se déposer dans l’Évangile comme dans un réservoir commun de toutes les morales, pour couler de là dans des canaux divers en se grossissant et en s’épurant toujours dans les idées, dans les mœurs, dans les institutions d’un monde indéfiniment perfectible. Il avait trouvé dans sa vie même l’occasion et pour ainsi dire la filiation de ses idées : il avait épousé la veuve de Bernardin de Saint-Pierre ; hélas ! deux fois veuve aujourd’hui de deux nobles amis, digne elle-même de cette alliance avec des pensées et des génies qu’elle était faite pour comprendre, qu’elle était digne d’inspirer.

Jean-Jacques Rousseau, sur la fin de ses jours, dans ses promenades solitaires et dans ses herborisations autour de Paris, avait versé son âme dans celle de Bernardin de Saint-Pierre ; à son tour, l’auteur de Paul et Virginie, dans sa vieillesse, avait versé la sienne dans le cœur d’Aimé Martin, son plus cher disciple. En sorte que, par une chaîne non interrompue de conversations et de souvenirs rapprochés, l’âme d’Aimé Martin avait contracté parenté avec les âmes de Fénelon, de Jean-Jacques Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre : société spiritualiste, génération intellectuelle de Platon, dont il aurait été si doux à notre ami de prévoir que les noms seraient prononcés sur son cercueil, comme ceux de ses parrains dans l’immortalité.

Sa vie privée ne fut qu’une longue série d’amitiés. Il compta toujours parmi les plus illustres celle de M. Lainé, ce ministre philosophe, digne, si les temps l’avaient permis, d’être un jour dans notre histoire nommé le Turgot de la liberté !