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avait fait donner une éducation savante. Il avait la passion de la littérature, parce qu’elle est la forme de la pensée et le signe de la civilisation.

S’il était né à Athènes, ou à Alexandrie, ou à Jérusalem, il aurait été du nombre de ces disciples qui laissaient tout pour s’attacher à un philosophe, à un sage, à un prophète, et pour se donner, dans son école ou dans sa secte, la seule famille à laquelle ils se dévouassent ici-bas, la famille spirituelle. Il aimait la poésie aussi, non pas précisément pour elle-même, mais comme un véhicule de vérité qui fait sonner plus haut et qui porte plus loin les idées. Il commença par écrire un livre didactique sur la science naturelle, entremêlé et illustré de vers faciles et gracieux. Ce livre lui fit une renommée précoce dans un temps où Ton ne comprenait en France, sous l’Empire, la poésie que comme un élégant badinage rimé, un jeu de la langue, de l’oreille et de l’esprit ; mais il ne s’enivra pas de son succès poétique : il sentait le premier qu’il y avait une poésie à découvrir au fond du cœur, qui n’était pas ce gazouillement suranné du bout des lèvres. Il se plongea dans les fortes études. La contention d’esprit vers la gloire littéraire ne l’absorbait pas tellement qu’il ne lui restât un grand goût vers les autres gloires futiles de la jeunesse. Grand de taille, souple de membres, sculpté en athlète, l’œil prompt et vif, le pied et la main lestes, le visage taillé à rudes équarrissures, mais la bouche fine et le sourire illuminé de bienveillance et de franchise, il s’adonna à tous les exercices qui fortifient et assouplissent le corps : il passait une partie de ses journées dans les salles d’armes, luttant avec les grands maîtres d’escrime du temps. Cette analogie de goût contribua plus tard à nous lier. Il devint le roi du fleuret, le Saint-Georges du jour, la première lame de l’Europe. Il avait la vie de tous ses adversaires à la pointe de son épée, mais il n’avait point d’ennemis ; il ne savait pas haïr. Le combat n’était qu’un jeu d’adresse pour lui, une philosophie de