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VIII

Voici comment j’écrivis ces strophes sur la cloche de Saint-Point, à une époque de ma vie où je n’écrivais plus que de la prose :

Je suis voisin de campagne d’un jeune homme qui porte un nom illustre dans les lettres du XVIIIe et du XIXe siècle à la fois, le nom de l’historien de la Révolution française, M. de Lacretelle. G» jeune homme a été nourri de haute littérature dans une maison où l’histoire, la poésie, l’éloquence, sont ce que Cicéron appelait les dieux lares de sa bibliothèque à Arpinum. La nature semblait l’y avoir prédestiné : il a l’âme élevée, le cœur sensible, l’imagination impressionnable, l’esprit délicat, le goût épuré. Il a, par-dessus tout, ce qu’on nommait jadis le feu sacré, c’est-à-dire l’enthousiasme, qui allume tout. Il a balbutié presque en naissant de beaux vers : quand les années l’auront mûri, il portera des fruits sains et de toutes les saveurs ; le nom de sa famille éclatera en lui par quelque autre côté de gloire littéraire ou politique. Quant à son cœur, il est le cœur d’un enfant, il n’a ni pli ni repli ; c’est un premier mouvement toujours bon, et un premier mot toujours heureux. On le lit sur son visage, et ce visage est son meilleur livre. J’aime ce jeune homme comme on aime un vieux portrait de soi-même peint pendant sa fleur de jeunesse, et qu’on retrouve par hasard au fond d’un portefeuille, avec ses cheveux blonds, ses yeux non encore ternis, et son expression de candeur sur ses lèvres de seize ans.