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dehors ; mais l’action intérieure ne cessant jamais, il faut bien employer à quelque chose ce superflu de force qui se convertirait en mélancolie dévorante, en désespoir et en démence, si on ne l’exhalait pas en prose ou en vers ! Béni soit celui qui a inventé l’écriture, celle conversation de l’homme avec sa propre pensée, ce moyen de le soulager du poids de son âme ! Il a prévenu bien des suicides.

A ce moment de l’année, je me lève bien avant le jour ; cinq heures du matin n’ont pas encore sonné à l’horloge lente et rauque du clocher qui domine mon jardin, que j’ai quitté mon lit, fatigué de rêves, rallumé ma lampe de cuivre et mis le feu au sarment de vigne qui doit réchauffer, ma veille dans cette petite tour voûtée, muette et isolée, qui ressemble à une chambre sépulcrale habitée encore par l’activité de la vie. J’ouvre ma fenêtre ; je fais quelques pas sur le plancher vermoulu de mon balcon de bois. Je regarde le ciel et les noires dentelures de la montagne, qui se découpent nettes et aiguës sur le bleu pâle d’un firmament d’hiver, ou qui noient leurs cimes dans un lourd océan de brouillards ; quand il y a du vent, je vois courir les nuages sur les dernières étoiles qui brillent et disparaissent tour à tour, comme des perles de l’abîme que la vague recouvre et découvre dans ses ondulations. Les branches noires et dépouillées des noyers du cimetière se tordent et se plaignent sous la tourmente des airs, et l’orage nocturne ramasse et roule leur tas de feuilles mortes, qui viennent bruire et bouillonner au pied de la tour comme de l’eau.

A un tel spectacle, à une telle heure, dans un tel silence, au milieu de cette nature sympathique, de ces collines où l’on a grandi, où l’on doit vieillir, à dix pas du tombeau où repose en nous attendant tout ce qu’on a le plus pleuré sur la terre, est-il possible que l’âme qui s’éveille