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en écrivant ces poésies. C’est le nom des heures que j’y ai trop rarement consacrées.

Vous me demandez, mon cher ami, comment, au milieu de mes travaux d’agriculteur, de mes études philosophiques, de mes voyages et du mouvement politique qui m’emporte quelquefois dans sa sphère tumultueuse et passionnée, il peut me rester quelque liberté d’esprit et quelques heures d’audience pour cette poésie de l’âme qui ne parle qu’à voix basse dans le silence et dans la solitude. C’est comme si vous demandiez au soldat ou au matelot s’il leur reste un moment pour penser à ce qu’ils aiment et pour prier Dieu, dans le bruit du camp ou dans l’agitation de la mer. Tout homme a en soi une merveilleuse faculté d’expansion et de concentration, de se livrer au monde sans se perdre soi-même, de se quitter et de se retrouver tour à tour. Voulez-vous que je vous dise mon secret ? c’est la division du temps ; son heure à chaque chose, et il y en a pour tout. Bien entendu que je parle de l’homme qui vit comme nous, à cent lieues de Paris et à dix lieues de toute ville, entre deux montagnes, sous son chêne ou sous son figuier. Et puisque vous voulez le récit vrai et confidentiel d’une de mes journées de paysan que vous trouvez trop pleines et que je sens si vides* tenez, le voilà : prenez et lisez, comme dit solennellement le grand poëte des Confessions, J.-J. Rousseau.

Mais d’abord souvenez-vous que, pour vivre ainsi double, il faut se coucher de bonne heure et que votre lampe s’éteigne quand la lampe du tisserand et celle de la file use brillent encore, comme des étoiles tombées à terre, à travers les branches, sur les flancs noirs de nos collines. Il faut entendre en s’endormant les chants éloignés des jeunes garçons du village qui reviennent de la veillée dans les