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FIOR D’ALIZA.

Et, mesurant de l’œil tes arches colossales,
Tes temples, tes palais, tes portes triomphales,
Avec un rire amer demandent vainement
Pour qui l’immensité d’un pareil monument,
Si l’on attend qu’ici quelque autre César passe,
Ou si l’ombre d’un peuple occupe tant d’espace ?
Et tu souffres sans honte un affront si sanglant !
Que dis-je ? tu souris au barbare insolent ;
Tu lui vends les rayons de ton astre qu’il aime ;
Avec un lâche orgueil, tu lui montres toi-même
Ton sol partout empreint de tes nombreux héros,
Ces vieux murs où leurs noms roulent en vains échos,
Ces marbres mutilés par le fer du barbare,
Ces bustes avec qui son orgueil te compare,
Et de ces champs féconds les trésors superflus,
Et ce ciel qui t’éclaire et ne te connaît plus
Rougis !… Mais non : briguant une gloire frivole,
Triomphe ! On chante encore au pied du Capitole.
À la place du fer, ce sceptre des Romains,
La lyre et le pinceau chargent tes faibles mains ;
Tu sais assaisonner des voluptés perfides,
Donner des chants plus doux aux voix de tes Armides,
Animer les couleurs sous un pinceau vivant,
Ou, sous l’adroit burin de ton ciseau vivant,
Prêter avec mollesse au marbre de Blanduse
Les traits de ces héros dont l’image t’accuse.
Ta langue, modulant des sons mélodieux,
A perdu l’âpreté de tes rudes aïeux ;
Douce comme un flatteur, fausse comme un esclave,
Tes fers en ont usé l’accent nerveux et grave ;
Et, semblable au serpent, dont les nœuds assouplis
Du sol fangeux qu’il couvre imitent tous les plis,
Façonnée à ramper par un long esclavage,
Elle se prostitue au plus servile usage,
Et, s’exhalant sans force en stériles accents,
Ne fait qu’amollir l’âme et caresser les sens.