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CHAPITRE PREMIER.

XXXIV

La mort de lord Byron fut un deuil profond pour moi-même. Je me souviens encore de la matinée, à Mâcon, où ma mère, qui connaissait ma passion pour ce Tasse et pour ce Pétrarque des Anglais dans un seul homme, craignant l’effet soudain et inattendu que ferait sur moi cette mort d’un inconnu, entr’ouvrit mes rideaux d’une main prévoyante et m’annonça avec précaution la catastrophe du poëte, comme elle m’aurait annoncé une perte de famille. Elle portait sur sa physionomie l’empreinte de la douleur qu’elle pressentait dans mon cœur. Mon deuil en effet, à moi, fut immense et ne se consola jamais de cette étoíle éteinte dans le ciel de la poésie de notre siècle. Il avait beau avoir écrit cette parodie de l’amour intitulée Don Juan. C’était une débauche de colère et de cynisme contre lui-même, un reniement de saint Pierre que le Dieu déplore et pardonne. Sa poésie est éternelle, parce qu’elle pleure mieux qu’elle ne fait semblant de rire. Sa note sensible s’empare de l’âme comme un harmonica céleste. Les nerfs en souffrent, mais le cœur en saigne, et les gouttes de sang qui en découlent sont les délices des cœurs sensibles.