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CHAPITRE PREMIER.

de notre existence. Un de mes plus intimes amis, le baron de Vignet, neveu des deux comtes de Maistre, venait d’être nommé secrétaire de l’ambassade de Sardaigne à Londres. Il venait souvent à Richmond passer avec moi des jours mélancoliques comme son caractère, à l’ombre de ces arbres séculaires d’Angleterre, où nous nous entretenions de politique et de poésie, ses deux passions, comme elles étaient déjà les miennes. Il voyait tout en sombre et rappelait plus les Nuits d’Young que la sérénité calme de sa patrie. Un autre ami très-lettré aussi, M. de Marcellus, était en même temps que nous à Londres, premier secrétaire de l’ambassade française, sous l’ambassadeur, notre plus grand poëte, M. de Chateaubriand. Je n’avais pas connu à Paris cet homme illustre autrement que par mon admiration a distance. Je lui fis ma visite de devoir en arrivant à Londres ; il-oublia de me la rendre ; je n’insistai pas : ce ne fut qu’après mon séjour et Richmond que, sur l’observation de M. de Marcellus, M. de Chateaubriand me fit une visite et m’envoya une invitation à un de ses dîners diplomatiques. Je m’y rendis par devoir plus que par empressement. Il fut froid et un peu guindé avec un jeune homme qui ne demandait qu’à l’adorer comme un être plus qu’humain. Je sortis contristé de sa table, et je ne cherchai plus à le voir. Il me parut un homme qui posait pour le grand homme incompris, qu’il ne fallait voir que de loin, en perspective. Le charme manquait à sa grandeur ; le charme de la petitesse ou de la grandeur, c’est le naturel.