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CHAPITRE VI.

suintaient de mon front ; quand je fus à une enjambée ou deux de la lucarne ferrée, au fond de laquelle j’allais apercevoir celui qu’ils appelaient le meurtrier, mes jambes refusèrent tout à fait de faire un dernier pas, mes mains froides s’ouvrirent d’elles-mêmes, le trousseau de clefs d’un côté, la cruche pleine d’eau de l’autre, tombèrent à la fois sur les dalles, et je tombai moi-même contre la muraille, entre le trousseau sonore et la cruche d’eau cassée. Les prisonniers crurent que c’était un faux pas contre les dalles du cloître qui avait causé l’accident ; personne, heureusement, n’y prit garde ; j’eus le temps de revenir à moi, de sentir le danger et de réfléchir au moyen d’entrer dans la loge du meurtrier sans que le saisissement trop soudain lui fit révéler involontairement qui j’étais aux oreilles de ses compagnons de peine.

Je ramassai les clefs, je balayai les tessons de la cruche dans la cour, et je revins sur mes pas, comme si j’allais chercher un autre vase pour porter son eau au meurtrier. C’est sous ce prétexte que je passai aussi dans le vestibule, devant le piccinino occupé à tresser attentivement ses nattes de paille. Mais aussitôt que je fus rentrée dans le corridor des cuisines, comme si j’allais y prendre une fiasque neuve a la place de celle que je venais de répandre, je m’élançai en bonds rapides, par les marches de l’escalier, jusqu’au sommet de la tour, je pris la zampogne sur mon lit, je la mis sous mon bras et je redescendis, aussi vite que j’étais montée, jusqu’aux cuisines.