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CHAPITRE IV.

Moi, je pensais aux sacs de châtaignes que les cueilleurs de la plaine viendraient ramasser sous mes yeux au mois de septembre, et qu’ils emporteraient à Lucques, sans s’inquiéter s’il nous en resterait pour vivre sur les cinq branches réservées aux habitants de la maison.

Je pensais aussi à cette pauvre vieille vigne qui avait coûté tant de peine à cultiver, à nos pères et à nos mères, à ces ceps reconnaissants, comme s’ils avaient des cœurs humains, qui montaient de si loin pour embrasser la porte, la fenêtre, le toit, de leurs pampres les plus lourds de grappes. Pauvres ceps ! dont les racines ne seront plus à nous pendant que leurs feuilles, leur ombre et leurs grappes nous serviraient encore de si bas !

Quant aux sept figuiers, ils nous restaient tous les sept comme des arbres domestiques ; on n’avait pas pu nous en déposséder, parce que leurs racines étaient sous les murs de la maison ; c’était une bonne récolte qui n’était pas à dédaigner dans les années où la fleur des châtaigniers aurait gelé sous le givre ; les figues, séchées sur le toit dans les saisons chaudes, pouvaient bien remplir quatre sacs bien tassés ; c’était quasi de quoi nous empêcher de mourir de faim, en les faisant gonfler et cuire dans le lait des chèvres.

Nous nous couchâmes sans nous parler, de peur que le son de la voix de l’un ne fît pleurer l’autre, mais nous ne dormîmes pas, bien que nous en fissions le semblant. J’entendis toute la nuit chacun de nous se retourner dans sa