Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 41.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
133
CHAPITRE IV.

pour découdre d’un coup de canif cette fiançaille entre ces enfants, qui ne savent pas même ce que fiançaille veut dire.

Jusqu’ici j’ai méprisé le mariage, je suis arrivé à quarante ans sans que mon cœur ait battu plus vite d’une pulsation à la vue d’une femme, veuve ou fille, contadine de village ou dame de la ville ; mais l’âge vient, je suis libre, je suis riche. Chacun à son heure, il faut faire une fin. Une belle fille à la maison, c’est une fin de l’homme ; la voila mûre bientôt, et moi encore assez vert. C’est à San Stefano que je dois d’avoir changé d’idée. J’allais y chercher le bon Dieu et j’y ai trouvé le diable sous la figure d’un ange. Allons, Bartholomeo del Calamayo, arrangez-moi cela avec votre bec de plume ; je vois bien que ce sera difficile, si ces enfants savent déjà s’aimer ; mais vous en savez plus que l’amour, astucieux paglietta (chicaneur) que vous êtes ; imaginez-moi quelque bon filet de votre métier pour faire tomber cette chevrette des bois dans ma carnassière. N’ayez pas peur, Bartholomeo, mon compère ; l’argent, s’il en faut, ne vous manquera pas, le crédit non plus ; je suis l’ami du camérier du duc ; les juges de Lucques ne peuvent pas exécuter un de leurs arrêts sans moi ; le chef de la police du duché a épousé la fille de ma sœur ; tous les sbires de la campagne sont sous mes ordres ; c’est moi qui préserve contre les braconniers les chasses du souverain ; on m’aime et l’on me craint partout ; là-haut et là-bas, comme un grand inquisiteur des forêts du duché. À