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première époque.

» Trop sensible ou trop fier, je mourrais dans la lutte,
» Ou vainqueur du triomphe, ou vaincu de la chute.
» À cette loterie où la vie est l’enjeu,
» Mon cœur passionné mettrait trop ou trop peu ;
» Et puis la vie est lourde, et dur est le voyage :
» Il vaut mieux la porter seule, et sans ce bagage
» De chaînes, de fardeaux, de soins, d’ambitions.
» Amours, liens brisés, enfants, afflictions,
» Quel que soit vers le ciel le chemin que l’on suive,
» On arrive plus vite où Dieu veut qu’on arrive ;
» Dans le lit de poussière on se couche moins tard ;
» On a moins de soucis et de pleurs au départ.
» Oh ! ne résistez pas, ma mère, à ma prière !
» Si vous réfléchissez, un jour vous serez fière
» De ce mot qui vous semble un douloureux adieu.
» À quoi renonce-t-on quand on se jette à Dieu ?
» Que voulez-vous de mieux pour l’enfant qui vous prie,
» Que la paix sur la terre et le ciel pour patrie ?
» Humble est le nom de prêtre ! Oh ! n’en rougissez pas,
» Ma mère ; il n’en est point de plus noble ici-bas.
» Dieu, qui de ses desseins connaît seul le mystère,
» A partagé la tâche aux enfants de la terre :
» Aux uns le sol à fendre et des champs pour semer,
» Aux autres des enfants, des femmes pour aimer ;
» À ceux-là le plaisir d’un monument qu’on fonde,
» À ceux-ci le grand bruit de leurs pas dans le monde ;
» Mais il a dit aux cœurs de soupirs et de foi :
» Ne prenez rien ici, vous aurez tout en moi !
» Le prêtre est l’urne sainte au dôme suspendue,
» Où l’eau trouble du puits n’est jamais répandue,
» Que ne rougit jamais le nectar des humains,
» Qu’ils ne se passent pas pleine de mains en mains,
» Mais où l’herbe odorante, où l’encens de l’aurore
» Au feu du sacrifice en tout temps s’évapore.