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prologue.


Près du seuil de l’église, au coin du cimetière,
Dans la terre des morts nous couchâmes la bière ;
Chacun des villageois jeta sur le cercueil
Un peu de terre sainte, en signe de son deuil ;
Tous pleuraient en passant, et regardaient la tombe
S’affaisser lentement sous la cendre qui tombe :
Chaque fois qu’en tombant la terre retentit,
De la foule muette un sourd sanglot sortit.
Quand ce fut à mon tour : « Ô saint ami ! lui dis-je,
» Dors ! Ce n’est pas mon cœur, c’est mon œil qui s’afflige.
» En vain je vais fermer la couche où te voilà,
» Je sais qu’en ce moment mon ami n’est plus là…
» Il est où ses vertus ont allumé leur flamme ;
» Il est où ses soupirs ont devancé son âme ! »
Je dis ; et tout le soir, attristant ces déserts,
Sa cloche en gémissant le pleura dans les airs,
Et, mêlant à ses glas des aboîments funèbres,
Son chien, qui l’appelait, hurla dans les ténèbres.

Et moi, seul avec Marthe en ce morne séjour,
J’allais, je revenais du jardin à la cour,
Cherchant et retrouvant en chaque endroit sa trace,
Le voyant, lui parlant, et lui laissant sa place,
Feuilletant tout ouvert quelque livre pieux,
En lisant un passage et m’essuyant les yeux.
« N’écrivait-il jamais ? – Quelquefois le dimanche, »
Me dit Marthe, « il veillait sur une page blanche ;
» Et quand elle était noire, au fond d’un vieux panier
» Il la jetait ; et moi, dans un coin du grenier
» Je balayais la feuille au retour de l’aurore.
» Ce qu’ont laissé les rats y peut bien être encore. »
J’y montai ; j’y trouvai ces pages, où sa main
Avait ainsi couru sans ordre et sans dessein,