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prologue.

Il me semblait déjà dans mon oreille entendre
De sa touchante voix l’accent tremblant et tendre,
Et sentir, à défaut de mots cherchés en vain,
Tout son cœur me parler d’un serrement de main ;
Car lorsque l’amitié n’a plus d’autre langage,
La main aide le cœur et lui rend témoignage.

Quand je fus au sommet d’où le libre horizon
Laissait apercevoir le toit de sa maison,
Je posai mon fusil sur une pierre grise,
Et j’essuyai mon front, que vint sécher la brise ;
Puis regardant, je fus surpris de ne pas voir
D’arbre en arbre au verger errer son habit noir,
Car c’était l’heure sainte où, libre et solitaire,
Au rayon du couchant il lisait son bréviaire ;
Et plus surpris encor de ne pas voir monter,
Du toit où si souvent je la voyais flotter,
De son foyer du soir l’ordinaire fumée.
Mais voyant au soleil sa fenêtre fermée,
Une tristesse vague, une ombre de malheur,
Comme un frisson sur l’eau courut sur tout mon cœur ;
Et, sans donner de cause à ma terreur subite,
Je repris mon chemin et je marchai plus vite.

Mon œil cherchait quelqu’un qu’il pût interroger :
Mais dans les champs déserts, ni troupeau, ni berger.
Le mulet broutait seul l’herbe rare et poudreuse
Sur les bords de la route ; et dans le sol qu’il creuse
Le soc penché dormait à moitié d’un sillon ;
On n’entendait au loin que le cri du grillon,
Au lieu du bruit vivant, des voix entremêlées
Qui montent tous les soirs du fond de ces vallées.