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entretien

méditatives de mon temps ; j’ai reconnu à des signes certains que j’avais touché quelquefois juste et fort. Le contre-coup a été souvent jusqu’à la passion et à la colère : c’est ainsi qu’après avoir publié, l’année dernière, l’épisode de Graziella, histoire véritable où je me peins avec l’impartiale sévérité de la distance et du temps, j’ai reçu une foule de lettres signées ou anonymes pleines de reproches sanglants, de malédictions et d’imprécations contre la dureté, la sécheresse et la légèreté de cœur dont je m’accuse moi-même, dans ce récit, envers cette belle et malheureuse enfant.

Après que les Confidences ont répondu sur Laurence et sur Jocelyn, on m’a interrogé sur les détails accessoires du drame, sur les paysages, sur les personnages secondaires, sur le tisserand, sur l’évêque, sur l’ami, sur la servante, sur le chien enfin et sur les oiseaux ; on a voulu savoir d’où venait cette pauvre Marthe, où elle était allée après la mort du curé ; et si Marthe était son vrai nom ; et si sa bonté et son dévouement pour son maître n’étaient pas une invention aussi du poëte, une couleur grise et douce et l’œil dans le tableau, une harmonie calculée avec cette nature alpestre et cette vie sans espoir. J’ai répondu vingt fois en causant ; voici l’occasion de répondre plus explicitement, et à un plus grand nombre de curieux de sentiments. Non, Marthe n’était pas le vrai nom de la servante de Jocelyn, pas plus que Jocelyn n’était le vrai nom du curé de B***, pas plus que Valneige n’est le nom du village. Elle s’appelait et s’appelle encore Geneviève, car elle n’a pas suivi son maître au tombeau ; et je la vois encore de temps en temps dans la cour, sous les tilleuls, les jours d’été, quand je passe devant les grilles de l’hospice de C***. Voici son histoire uniforme, courte, et pâle comme une journée d’hiver qui n’a qu’une heure de soleil entre deux longs crépuscules. Je me souviens de l’entretien dans lequel elle me la raconta, comme si