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notes.

je veux défendre, ce sont les principes. Car sous cette question, en apparence si abjecte et ridicule, se cachent deux ou trois questions de principes, de finances et d’économie politique, très-profondes et très-sérieuses. Il ne faut pas laisser passer des erreurs, à cet égard, à l’état de préjugé.

Qu’est-ce qu’un impôt sur les chiens, dans la pensée et dans les discours de ceux qui proposent de prendre l’animal domestique, l’ami de l’homme, le consolateur de sa solitude, pour matière imposable ? C’est une loi somptuaire, c’est un impôt de luxe, c’est une taxe sur la dépense enfin ; c’est intentionnellement un moyen de soulager le pauvre en frappant le riche.

Ai-je besoin de dire à des hommes aussi éclairés que ceux qui m’écoutent, ce que c’est qu’une loi somptuaire, et quelle était la pensée qui fit établir les lois somptuaires dans des temps et dans des formes de société entièrement contraires au temps et à la forme de civilisation où nous sommes ? Les lois somptuaires furent inventées et établies dans les pays et dans les temps où, des lignes de démarcation absolues et infranchissables existant entre les rangs de la société, entre les classes de citoyens, il était interdit aux personnes de la classe subalterne de revêtir le costume, de prendre le rang, d’affecter la dépense des classes supérieures. La division des castes dans l’Inde, la séparation du citoyen, de l’affranchi, de l’esclave dans l’Occident, des nobles et des serfs dans les pays féodaux, se marquaient par l’interdiction de certains objets de luxe à certaines parties de la population. Les lois somptuaires étaient des uniformes donnés à chaque condition sociale, des limites légales placées entre l’orgueil des uns et la prétention des autres. Quel rapport l’esprit de pareils impôts aurait-il avec un temps égalitaire comme le nôtre ? Quel contre-sens ne commettent pas dans leurs pensées ceux qui rêvent d’appliquer les lois de l’aristocratie au régime de l’égalité ?

Mais en outre, c’est un impôt de luxe qu’on nous dit vouloir établir en frappant les chiens. Ai-je besoin encore d’expliquer à des hommes presque tous versés dans la science économique, ce que c’est qu’un impôt de luxe ? On croit voir, dans le principe des impôts de luxe, les bienfaits et la nature de l’impôt proportionnel, c’est-à-dire un impôt qui atteint, chacun selon leurs forces, le riche plus que le pauvre, en frappant d’une taxe particulière et exceptionnelle les objets qu’on suppose être plus spécialement à l’usage du riche. On se trompe : le véritable impôt proportionnel, c’est l’impôt de consommation, l’impôt indirect, l’impôt qui fait payer la même somme pour le même objet à tout le monde, mais