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notes.

de la rivière et les hurlements de la cascade venaient à nous. Et ces bruits vagues et non interrompus, chantant toujours la même gamme et sur le même ton, semblaient la première respiration de la nature sortant des bras du sommeil. En présence des grandes scènes qui se déroulaient à mes pieds avec une mystérieuse et sauvage solennité à cette heure du jour, mon cœur fut saisi d’une émotion profonde et soudaine qui me sollicitait invinciblement à la prière et à l’adoration. Tandis que mon compagnon, qui avait entendu ses chiens aboyer dans un ravin, se portait au débouché d’un bois de chênes, j’étais presque involontairement tombé à genoux, et je m’écriais : « Mon Dieu, que vous êtes grand et que votre terre est belle ! » Dans mon ravissement, je ne cessais, bien que je ne les aperçusse que très-indistinctement à travers un reste de brouillard, de regarder alternativement les montagnes, la rivière, les arbres, et d’écouter le bruit d’un léger vent s’engouffrant dans les sapins, et de l’eau courant s’engloutir dans les précipices.

» Toutes les amertumes de ma vie avaient fui de ma pensée dans ce solennel moment : les secrètes tortures de ma pensée, les labeurs et les angoisses de mon âme sur la terre de ce siècle aride ; tout ce que j’avais souffert, ou plutôt tout ce que je croyais avoir souffert du monde, de la science et de moi-même ; ces châtiments terribles de l’incontinence de l’esprit pour tout ce qui est mystère (et peut-on faire un pas sans en rencontrer ? peut-on étendre la main sans que le doute vienne l’étreindre, sans que le découragement et l’amertume viennent nous assaillir, et nous fermer le passage ?) ; toutes ces luttes que je soutenais comme Jacob avec une ombre ; ces douleurs que je voulais fuir par le voyage, par l’exercice et la fatigue du corps, tout avait disparu. J’avais laissé mon fardeau au bas de la montagne, et mon cœur devenait léger à mesure que j’approchais du ciel. Quels que soient les agitations et les tourments des destinées de l’homme, il est rare qu’il ne trouve pas dans la nature, lorsqu’il la cherche dans la nature, une voix amie qui le console, une voix qui d’abord semble se plaindre avec lui, se mêler au murmure de sa douleur, puis qui l’apaise, le berce et l’endort dans des rêves de calme et de bonheur.

» Mon âme donc était consolée, et il me semblait que cette voix de la nature me parlait :

» Enfant, me disait-elle, vous vous laissez aller à désespérer de vous-même : avec l’intuition du bien et du beau, avec le fréquent désir de ceindre votre tête de la méritante couronne de