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notes.

lyn. Voyageur ondoyant et divers, il suit les méandres, les sinuosités de l’horizon ; il analyse et raconte comme Toppfer, et son récit s’achève comme la rêverie triste et solennelle d’Obermann. Avec lui, le lecteur pénétrera dans les replis des montagnes, dans l’intimité des Alpes.

Voici le premier fragment :

« Jean-Jacques Rousseau avait bien raison de glorifier la vie ambulante dans les montagnes ! Sous vos pieds, un chemin planté à la marge fleurie d’un lac, des coteaux boisés à gauche, des treilles étançonnées dans les eaux à droite ; devant vous quelque îlot feuillu, d’où sort une tourelle à couverture ardoisée mi-partie bleue et blanche ; à l’horizon, une voile penchée sous le vent ; autour de vous les Alpes adoucissant leurs contours, qui sont le cadre du tableau ; sur votre tête un ciel pur, traversé par un faucon aux grandes ailes. La jambe alerte, les yeux dispos, la pensée ici et là, à la montagne et au lac : que faut-il de plus pour vivre une bonne fois en passant, de la vie même dans cette gracieuse et riante nature ?

» Je pris un sentier escarpé qui se perdait dans la montagne sous des sapins de cent à cent vingt pieds de hauteur, laissant un peu au ciel le soin de me conduire, et avisant à ne trébucher que le moins possible par les cailloux aigus dont est semé ce sentier.

» Le temps était superbe ; une fraîche brise murmurait dans les feuilles de quelques noyers ; de petits écureuils effrayés grimpaient çà et là sous les rameaux ; les insectes chantaient leur ballade monotone au fond des hautes herbes. De temps à autre, un grand aigle, effarouché au bruit de mes pas, s’envolait en sifflant au-dessus de la forêt. C’était une de ces journées de la belle saison, où le bien-être de la santé, l’insouciance de la jeunesse et l’amour charmant du paysage ramènent, comme l’enfant prodigue, nos affections les plus tendres vers la nature, qui est une mère indulgente et douce.

» Je m’arrêtai à la pointe d’un monticule où deux à trois tours et pans de muraille se voyaient debout au milieu d’un amas de ruines. De cet endroit, la vallée de Beaufort, avec ses enfourchures, ses grandes taches de bois de sapins, ses prairies mollement inclinées jusqu’aux bords de la rivière, qui tantôt les caresse silencieusement, tantôt se tord avec de rauques mugissements et d’éblouissantes nappes d’écume entre les roches amoncelées ; de cet endroit, la vallée m’apparut belle de sa sauvage grandeur, et dormant au soleil comme une oasis entourée de neiges et de solitudes.