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notes.

treilles, à sarcler ses laitues ou à écheniller ses arbres. Je prenais l’arrosoir des mains de la mère, j’aidais la nièce à tirer la longue corde du puits. Nous travaillions tous les quatre au jardin tant qu’il restait une lueur de jour dans le ciel. Nous rentrions alors dans la chambre du curé. Les murs en étaient nus, et crépis seulement de chaux blanche éraillée par les clous qu’il y avait fichés pour y suspendre ses fusils, ses couteaux de chasse, ses vestes, ses fourniments, et quelques gravures encadrées de sapin, représentant la captivité de Louis XVI et de sa famille au Temple. Car l’abbé D…, je l’ai déjà dit, par une contradiction très-fréquente dans les hommes de ce temps-là, était royaliste, bien qu’il fût démocrate, et contre-révolutionnaire de sentiment, bien qu’il détestât l’ancien régime, et qu’il partageât toutes les doctrines et toutes les aspirations de la révolution.

» À la nuit tombante, il allumait une chandelle de suif ou un reste de cierge de cire jaune rejeté des candélabres de l’autel. Après quelques moments de lecture ou de causerie, la servante mettait la nappe sur la table, débarrassée de l’encre, des livres et des papiers. On apportait le souper.

» C’était ordinairement du pain bis et noir, mêlé de seigle et de son ; quelques œufs des poules de la basse-cour, frits dans la poêle et assaisonnés d’un filet de vinaigre ; de la salade ou des asperges du jardin ; des escargots ramassés à la rosée sur les feuilles de vigne, et cuits lentement dans une casserole, sous la cendre ; de la courge gratinée mise au four dans un plat de terre, les jours où l’on cuisait le pain ; et de temps en temps ces poules vieilles, maigres et jaunes que les pauvres jeunes femmes des montagnes apportent en cadeau aux curés les jours de relevailles, en mémoire des colombes que les femmes de Judée apportaient au temple dans les mêmes occasions ; enfin quelques lièvres ou quelques perdrix, récolte de la chasse du matin. On y servait rarement d’autres mets. La pauvreté de la maison ne permettait pas à la mère d’aller au marché. Ce frugal repas était arrosé de vin rouge ou blanc du pays ; les vignerons le donnent au sacristain, qui va quêter, de pressoir en pressoir, au moment des vendanges. Le repas se terminait par quelques fruits des espaliers dans la saison, et par de petits fromages de chèvre blancs, frais, saupoudrés de sel gris, qui donnent soif, et qui font trouver le vin bon aux sobres paysans de nos vallées.

» L’abbé D… bien qu’il n’eût pas la moindre sensualité de table, ne dédaignait pas, pour soulager sa vieille mère et pour former sa nièce, d’aller lui-même quelquefois surveiller le pain.