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épilogue.

Jamais on n’y lisait avec lui sans bénir,
Et sans sentir aux yeux une larme venir.


À présent que j’ai lu dans cette âme si tendre,
Je reviens sur sa vie, et j’ai peine à comprendre
Comment il a vécu comme un autre ses jours,
Après avoir noyé tant d’âme dans leur cours.
J’aurais cru qu’une mort précoce et volontaire
Aurait déraciné cet homme de la terre,
Ou que son front, chargé de mystère et d’ennui,
Aurait jeté toujours une ombre devant lui.


Il n’en fut pas ainsi ; j’en bénis Dieu ! Sa vie,
Quoique troublée au fond, ne parut point tarie ;
Elle continua de couler doucement,
Sans devancer jamais sa pente d’un moment,
Et sans rendre son eau plus trouble ou plus amère
Pour celui qui regarde ou qui s’y désaltère :
La douleur qu’elle roule était tombée au fond.
Je ne soupçonnais pas même un lit si profond :
Nul signe de fatigue ou d’une âme blessée
Ne trahissait en lui la mort de la pensée ;
Son front, quoique un peu grave, était toujours serein ;
On n’y pouvait rêver la trace d’un chagrin
Qu’au pli que la douleur laisse dans le sourire,
À la compassion plus tendre qu’il respire,
Au timbre de sa voix ferme dans sa langueur,
Qui répondait si juste aux fêlures du cœur.
Il se fit de la vie une plus mâle idée :
Sa douleur d’un seul trait ne l’avait pas vidée ;
Mais, adorant de Dieu le sévère dessein,
Il sut la porter pleine et pure dans son sein ;