Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 4.djvu/373

Cette page a été validée par deux contributeurs.
372
jocelyn.

Valneige, 9 novembre 1800,
un soir d’hiver.

Oh ! que l’année est lente et que le jour s’ennuie
Pendant ces mois d’hiver où la sonore pluie,
Par l’ouragan fouettée et battant les vitraux,
Du verre ruisselant obscurcit les carreaux ;
Que l’horizon voilé par les brumes glacées,
Ainsi que mes regards, rétrécit mes pensées,
Et que je n’entends rien que le vent noir du nord
Sifflant par chaque fente un gémissant accord,
Des cascades d’hiver la chute monotone,
L’avalanche en lambeaux qui bondit et qui tonne,
Et quelques gloussements de poules dans la cour,
Et Marthe à son rouet qui file tout le jour !
Alors, ah ! c’est alors que mon âme isolée,
Par tous les éléments dans mon sein refoulée,
Comme un foyer sans air se dévorant en moi,
Veut se fuir elle-même et cherche autour de soi,
Et sent l’ennui de vivre entrer par chaque pore,
Et regarde bien loin si quelqu’un l’aime encore,
S’il est un seul vivant qui, par quelque lien,
M’adresse un souvenir et se rattache au mien ;
Et, ne voyant partout qu’indifférence et tombe,
Dans son vide sans bord de tout son poids retombe.
Tel, par la caravane au désert oublié,
L’homme cherche de l’œil la trace d’un seul pié,
Et regarde, aussi loin que peut porter sa vue,
S’il voit à l’horizon quelque point qui remue,