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jocelyn.

À Paris, 26 septembre 1800.

Nuit funeste ! depuis qu’elle m’est apparue,
Et que je sais le nom, et l’hôtel, et la rue,
Chaque fois que je sors, l’instinct traîne mes pas
Vers ce seuil de mon ciel que je ne franchis pas,
Mais où, couvert de nuit, j’écoute de la porte
Que quelque voix du ciel ou de la terre en sorte,
Comme Adam, exilé des jardins du Seigneur,
Écoutait s’éloigner les voix de son bonheur.


Cette nuit, comme hier, je m’y glissai dans l’ombre :
Des nuages au ciel rendaient l’hôtel plus sombre,
Et la pluie, en lavant les pavés à grands flots,
De mes pas amortis étouffait les échos.
Des fanaux de la rue évitant la lumière,
Je m’assis dans un angle au bord du banc de pierre,
Sur la borne en granit, du coude m’appuyant,
Plus humble et plus caché qu’un pauvre mendiant.
C’était l’heure où Paris, en jour transformant l’ombre,
En tonnerre incessant roule ses chars sans nombre ;
Où sur la roue en feu ses enfants emportés
Vont chercher au hasard leurs mille voluptés.
Aux cris des serviteurs, les portes colossales
Aux chars retentissants s’ouvraient par intervalles,
Et j’y voyais briller à travers le cristal
Des fronts resplendissants de l’ivresse du bal ;