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jocelyn.

C’est dans cet océan, sous cette vase immonde
Que cette perle pure est enfouie au monde ! »
Quand je lève mes yeux vers ces brillants séjours
Où les flambeaux le soir ressuscitent les jours,
Je me dis, en voyant une ombre à la fenêtre :
« Cette ombre que je vois, c’est la sienne peut-être ! »
Chaque char en roulant me semble l’emporter.
Ce coude que le mien le soir vient de heurter,
La trace de ce pied, la robe que je froisse,
Qui sait si ce n’est pas… ? Une poignante angoisse
De chaque aspect pour moi sort et vient m’assaillir ;
J’entends des sons de voix qui me font tressaillir ;
J’entends des noms qui font rougir jusqu’à mon âme ;
Je frémis de lever les yeux sur une femme ;
Je tremble qu’à son front, rencontré par hasard,
Mon cœur ne meure en moi, foudroyé d’un regard.
Puis je rentre, l’esprit courbé de lassitude,
Mais poursuivi des cris de cette multitude,
Trouvant l’isolement, mais jamais le repos,
Le cœur amer et vide, et plein de mille échos ;
Le bruit assourdissant de l’humaine tempête
Monte, gronde sans cesse, et m’enivre la tête ;
Et seul, sans qu’il me tombe une goutte de foi,
J’entends à peine, hélas ! mon cœur qui prie en moi.
Ô nuits de ma montagne, heure où tout fait silence
Sous le ciel et dans moi ; lune qui se balance
Sur les cimes d’argent du pâle peuplier,
Que l’haleine du lac à peine fait plier ;
Blanches lueurs du ciel sur l’herbe répandues,
Comme du lin lavé les toiles étendues ;
Des brises ou de l’eau furtif bruissement ;
Des chiens par intervalle un lointain aboîment ;
Le chant du rossignol par notes sur des cimes ;
Silence dans mon âme, ou quelques bruits intimes