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sixième époque.

À faire à chaque plante, à son heure, pleuvoir
En insensible ondée un pesant arrosoir ;
Car de l’homme à la fois cette terre réclame
La sueur de son front et la sueur de l’âme.
Le soir, quand chaque couple est rentré du travail,
Quand le berger rassemble et compte son bétail,
Mon bréviaire à la main, je vais de porte en porte,
Au hasard et sans but, comme le pied me porte ;
M’arrêtant plus ou moins un peu sur chaque seuil ;
À la femme, aux enfants, disant un mot d’accueil ;
Partout portant un peu de baume à la souffrance,
Aux corps quelque remède, aux âmes l’espérance,
Un secret au malade, aux partants un adieu,
Un sourire à chacun, à tous un mot de Dieu.


Ainsi passe le jour, sans trop peser sur l’heure.
Mais quand je rentre seul dans ma pauvre demeure,
Que ma porte est fermée, et que la longue nuit,
Excepté dans ma tempe, a fait tomber tout bruit,
Ah ! ma sœur, c’est alors que mon âme blessée
Sent son mal, et retourne en saignant sa pensée,
Comme on retourne en vain le fiévreux dans son lit ;
C’est alors qu’une image ou l’autre me poursuit ;
Que vous m’apparaissez, vous, ma sœur et ma mère,
Avec tout ce qui rend l’absence plus amère,
Avec vos traits si doux, avec vos douces voix,
Vos tendresses, vos mots, vos baisers d’autrefois ;
Et que de ce passé la présence est si forte,
Que je vous tends les bras, que mon âme m’emporte
Vers vous, et dans le sein d’autre fantôme cher ;
Que je crois vous revoir, vous parler, vous toucher,
Et qu’en ne retrouvant qu’un chevet solitaire,
Mon cœur comme en tombant s’écrase contre terre.