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jocelyn.

Monde de sentiment, d’amour et d’innocence,
Où, comme en un berceau, Dieu couve notre enfance ;
Dont le regret cuisant nous poursuit ; où plus tard
L’œil se voile de pleurs en tournant un regard.


Ma mère ! Est-il bien vrai ? Dieu nous rend notre mère
(Les vents ont sous sa voile aplani l’onde amère),
Toi, ton mari, vous tous ! tous rendus par les flots ;
Plus, trois petits enfants pendant l’exil éclos,
Comme ces passereaux que dans notre jeune âge
Nous trouvâmes un jour sous l’arbre après l’orage,
Que du rameau cassé notre main recueillit,
Et qu’en ton tablier tu rapportas du nid.


Mais tu ne m’as pas dit assez sur eux, sur elle,
Oh ! sur elle surtout ! Ma mémoire fidèle
La voit bien à travers le lointain souvenir,
Telle qu’à mon départ je la vis me bénir,
Telle qu’une exceptée, aucune créature
Ne me laissa dans l’œil plus céleste figure.
Mais, dis-moi, rien n’a-t-il changé sur ses beaux traits ?
Le temps, le long exil, ses soucis, ses regrets,
Des vents plus froids ont-ils passé sur ce visage
Sans laisser, comme au ciel, trace de leur passage ?
Son œil a-t-il toujours ce tendre et chaud rayon
Dont nos fronts ressentaient la tiède impression ?
Sur sa lèvre attendrie et pâle a-t-elle encore
Ce sourire toujours mourant ou près d’éclore ?
Son front a-t-il gardé ce petit pli rêveur
Que nous baisions tous deux pour l’effacer, ma sœur,
Quand son âme, le soir, au jardin, recueillie,
Nous regardait jouer avec mélancolie ?