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cinquième époque.

Je ne pus résister au transport de mon âme ;
Je m’élançai de l’ombre au milieu de ce drame :
Un long cri de bonheur dans la grotte éclata ;
D’un seul bond sur mon cœur son élan la jeta ;
Elle entoura mon cou de ses mains enlacées,
Toucha mon front, mes yeux, de ses lèvres glacées,
Sembla comme un serpent à mon corps se ployer,
Se colla sur mon sein comme pour s’y noyer ;
Me pressa, m’étouffa de si fortes étreintes
Que je sens à mes mains ses mains encore empreintes ;
Puis, m’enlaçant le cou du bras comme autrefois,
S’y suspendit longtemps fière et de tout son poids.
« Osez me l’arracher ! demandez-lui s’il m’aime,
» Dit-elle ; le voilà pour répondre lui-même.
» Parle, Jocelyn, dis s’il est vrai que ton cœur
» A trahi ton ami, ton amante, ta sœur !
» Dis-leur si de ce sein où Dieu m’avait jetée
» Sur la pierre à leurs pieds tu m’as précipitée !
» Dis-leur si cet amour, notre vie en ce lieu,
» Tu l’aurais renié même à la voix de Dieu !
» Un Dieu ! S’il était vrai, si je doutais encore,
» Je le détesterais autant que je t’adore ! »
On lisait sur sa lèvre un sourire âpre et fier,
Et son geste en parlant semblait les défier.
« Jocelyn, parle donc, reprit-elle, à ces hommes ;
» Venge-toi, venge-nous, et dis-leur qui nous sommes ! »


L’aveugle instinct du cœur dans le premier moment
Me fixait là sans yeux, sans voix, sans mouvement,
Ainsi qu’un insensé qui, tombé dans l’abîme,
Ne sent le coup qu’au fond sur le roc qui l’abîme.
La secousse des sens que son cri me donna
D’une horrible clarté soudain m’environna ;