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jocelyn.

Ses bras tout défaillants passés autour du cou
De sa biche, qui dort les flancs sur son genou ;
Et pressant d’une étreinte inerte et convulsive
L’animal qui dressait une oreille attentive,
Et, du tendre regard que son œil lui dardait,
Semblait attendre aussi celui qu’elle attendait.
Ses longs cheveux traînaient en flocons sur la corne ;
Sous ses cils abaissés son regard terne et morne
Se relevait parfois comme pour écouler
Des larmes que ses yeux ne sentaient pas rouler ;
Sa respiration, dans son sein inégale,
En soupirs, en sanglots, sortait par intervalle…
Le bruit qu’en approchant les pas firent en haut
Réveilla son oreille et son âme en sursaut ;
Elle se redressa comme un mort qu’on appelle,
Courut les bras ouverts : « Jocelyn ! » cria-t-elle.
La sœur parut dans l’ombre : « Ô ciel ! ce n’est pas lui !… »
Elle fléchit, chercha sur la pierre un appui,
Et d’un œil foudroyé, fixe comme son âme,
Regarda sans parler les pâtres et la femme.
« Ma fille, dit la sœur, venez, ne craignez pas.
» Je viens comme une enfant vous prendre entre mes bras ;
» Et Dieu, qui vous donna, qui vous enlève un frère,
» Au lieu d’un frère en moi vous envoie une mère. »
Alors en peu de mots tout lui fut raconté,
Par quel coup du destin Dieu l’avait emporté,
Par quels vœux arrachés à mon âme surprise,
La mort m’avait jeté tout saignant dans l’Église,
Et comment et mon nom et tout ce doux passé,
De son cœur pour jamais devait être effacé :
« C’est un rêve d’enfant qu’on regrette et qu’on pleure,
» Mais qu’un rayon du jour dissipe en un quart d’heure ;
» Il n’en restera rien qu’un souvenir bien doux,
» Un invisible ami qui prîra Dieu pour vous ! »