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cinquième époque.

» L’exil ou la prison, ou le couteau mortel,
» N’épargnent nul de ceux qui montaient à l’autel :
» Il ne reste que vous, pauvres jeunes lévites,
» Qui n’aviez pas encore lié vos mains bénites !
» J’en demandais au ciel un seul, à deux genoux :
» Dieu m’inspirait, mon fils, et je pensais à vous !
» Oh ! que mon cœur, d’ici, pressentait bien le vôtre !
» J’étais sûr que, fidèle au devoir de l’apôtre,
» La prison, l’échafaud vous verrait accourir,
» Séduit par le martyre et tenté de mourir,
» Et que, plus il est plein de l’horreur du supplice,
» Plus vous accepteriez de boire mon calice… »
Je ne répondais rien, et je n’entendais plus,
Et je baissais dans l’ombre un front rouge et confus.
« Faut-il mieux m’expliquer ? reprit-il ; un saint prêtre
» Est nécessaire à Dieu ; mon fils, vous allez l’être !
» Pour qu’un double holocauste ici soit consommé,
» La Providence et moi, nous vous avons nommé ;
» Je vais vous consacrer sur ce bord de ma tombe :
» Baissez la tête, enfant, pour que le chrême y tombe !
» Et quand l’esprit de force aura coulé sur vous,
» Je vais, pécheur, mourant, tomber à vos genoux,
» Et recevoir de vous dans le saint sacrifice
» Le pain du viatique et le vin du supplice.
» Recevez du martyr l’auguste sacrement,
» Mourez pour que Dieu vive… — Ô mon père, un moment,
» Lui dis-je en repoussant du front le sacré signe.
» Arrêtez, arrêtez ! tremblez, j’en suis indigne !
» Mon âme est à mon Dieu, mon sang est à ma foi,
» Mais mes jours profanés, ils ne sont plus à moi ;
» Et Dieu n’exige pas que je lui sacrifie
» Deux morts dans une mort, deux cœurs dans une vie. »
Son œil sonda le mien, et son front s’obscurcit ;
Alors, balbutiant, je lui fis le récit