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préface.

poésie de ceux qui ne lisent pas, je serais content, j’aurais vécu.

Le ciel et vous, monsieur, vous avez satisfait ce modeste et puéril désir. Ma petite destinée, sous ce rapport, est accomplie. Laurence sera encadrée quelquefois bien bas au-dessous de Virginie, et Jocelyn bien loin à côté du père Aubry. Mais je ne désire pas m’en rapprocher davantage. J’ai pour ces deux grands génies de la poésie moderne, M. de Saint-Pierre et M. de Chateaubriand, qui furent nos pères et non nos émules, le respect et le culte filial qui se glorifient même d’une plus humble infériorité. Être de leur famille, cela suffit à mon orgueil, comme cela suffisait alors à mon bonheur. Soyez-en donc remercié.

Que mes lecteurs bienveillants le soient aussi. Jocelyn est celui de tous mes ouvrages qui m’a valu les communications les plus intimes et les plus multipliées avec des inconnus de tout âge et de tout pays. Combien d’âmes que je n’aurais jamais devinées se sont ouvertes à moi depuis ce livre, par ces correspondances signées ou anonymes qui pleuvent chaque jour sous ma main ! Dans les pièces de Schiller, le brigand siffle, et du fond des forêts, de derrière chaque rocher, du creux de chaque tronc d’arbre, il sort un brigand tout armé qui répond à cet appel, et qui vient lui offrir son bras et sa vie.

Dans ce monde charmant de l’intelligence et de l’amour que nous habitons jusqu’à trente ou quarante ans, le poëte chante, et des foules d’âmes sympathiques, des milliers de cœurs sonores, répondent à sa voix et viennent lui révéler leurs impressions. Les uns sont déjà graves et tristes comme des natures déplacées ici-bas, et dont la plante des pieds est trop délicate pour marcher sans douleur sur ce sol dur