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jocelyn.

Je la mouillais de pleurs et je marquais le livre,
Et je fermais les yeux et je m’écoutais vivre ;
Je sentais dans mon sein monter comme une mer
De sentiment doux, fort, triste, amoureux, amer,
D’images de la vie et de vagues pensées
Sur les flots de mon âme indolemment bercées,
Doux fantômes d’amour dont j’étais créateur,
Drames mystérieux et dont j’étais l’acteur.
Puis, comme des brouillards après une tempête,
Tous ces drames conçus et joués dans ma tête
Se brouillaient, se croisaient, l’un l’autre s’effaçaient ;
Mes pensers soulevés comme un flot s’affaissaient ;
Les gouttes se séchaient au bord de ma paupière,
Mon âme transparente absorbait la lumière,
Et, sereine et brillante avec l’heure et le lieu,
D’un élan naturel se soulevait à Dieu.
Tout finissait en lui comme tout y commence,
Et mon cœur apaisé s’y perdait en silence ;
Et je passais ainsi sans m’en apercevoir,
Tout un long jour d’été, de l’aube jusqu’au soir,
Sans que la moindre chose intime, extérieure,
M’en indiquât la fuite, et sans connaître l’heure
Qu’au soleil qui changeait de pente dans les cieux,
Au jour plus pâlissant sur mon livre ou mes yeux,
Au serein qui des fleurs humectait les calices ;
Car un long jour n’était qu’une heure de délices !


Eh bien, ce doux été dont j’achève le cours,
N’a pas duré pour moi plus qu’un de ces beaux jours !
Seulement je n’ai plus de ces vagues images
Que l’âme vide attire et colore en nuages,
De ces pleurs de l’instinct que je sentais rouler
Dans mes yeux, sans savoir qui les faisait couler :