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jocelyn.

Chaque fois que nos pieds tombaient dans la verdure,
Les herbes nous montaient jusques à la ceinture,
Des flots d’air embaumé se répandaient sur nous,
Des nuages ailés partaient de nos genoux,
Insectes, papillons, essaims nageants de mouches,
Qui d’un éther vivant semblaient former les couches :
Ils montaient en colonne, en tourbillon flottant,
Comblaient l’air, nous cachaient l’un à l’autre un instant,
Comme dans les chemins la vague de poussière
Se lève sous les pas et retombe en arrière ;
Ils roulaient ; et sur l’eau, sur les prés, sur le foin,
Ces poussières de vie allaient tomber plus loin ;
Et chacune semblait, d’existence ravie,
Épuiser le bonheur dans sa goutte de vie,
L’air qu’elles animaient de leur frémissement
N’était que mélodie et que bourdonnement.


Oh ! qui n’eût partagé l’ivresse universelle
Que l’air, le jour, l’insecte, apportaient sur leur aile ?
Oh ! qui n’eût aspiré cette haleine des airs
Qui tiédissait la neige et fondait les hivers ?
La séve de nos sens, comme celle des arbres
Eût fécondé des troncs, eût animé des marbres ;
Et la vie, en battant dans nos seins à grands coups,
Semblait vouloir jaillir et déborder de nous.
Nous courions ; des grands rocs nous franchissions les fentes ;
Nous nous laissions rouler dans l’herbe sur les pentes ;
Sur deux rameaux noués le bouleau nous berçait ;
Notre biche étonnée à nos pieds bondissait ;
Nous jetions de grands cris pour ébranler les voûtes
Des arbres, d’où pleuvait la séve à grosses gouttes ;
Nous nous perdions exprès, et, pour nous retrouver,
Nous restions des moments, sans parole, à rêver ;