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jocelyn.

28 octobre 1793.

L’enfant ! je ne puis plus nommer ainsi Laurence.
Ses seize ans l’ont conduit à son adolescence,
Son front s’élève presque à la hauteur du mien ;
À la course, mon pied gagne à peine le sien :
Seulement sa voix tendre, angélique, argentine,
Conserve encor l’accent de sa voix enfantine,
Et ses inflexions, vibrantes de douceur,
Me font rêver souvent à la voix de ma sœur.
Alors pour un instant mon cœur, que ce son frappe,
Pour remonter un peu le cours du temps, m’échappe,
Et me reporte au jour où ces tendres accents
De femmes, mère ou sœur, résonnaient à mes sens,
Et, donnant tant de charme au foyer domestique,
De mon enfance étaient la suave musique.
Je les cherche, mon cœur des absents s’entretient ;
Des larmes dans mes yeux montent : Laurence vient,
S’assied à mes genoux, me regarde en silence,
Me demande pourquoi je pleure, à qui je pense.
Je lui dis mon enfance, il pleure en m’écoutant :
« Comme ils t’aimaient ! dit-il. Mais moi je t’aime autant ;
» Ne suis-je pas pour toi comme un fils de ta mère ?
» N’as-tu pas remplacé dans mon cœur même un père ? »
Puis, sur la même pierre appuyant nos deux fronts,
L’un vis-à-vis de l’autre ensemble nous pleurons.