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troisième époque.

Grotte des Aigles, 6 juillet 1793.

Poussé par cet instinct qui vers l’homme m’attire,
J’ai franchi ce matin le seuil de mon empire ;
J’ai mesuré de l’œil la chute du torrent,
J’ai touché de la main l’arc-en-ciel transparent,
Et d’un pied plus hardi, que l’audace accoutume,
Passé le roc tremblant sous la voûte d’écume.


Dans l’herbe au moindre bruit soigneux de me cacher,
Et les pieds nus, de peur qu’on m’entendît marcher,
Suivant dans ses contours le ravin qui serpente,
De ces monts, pas à pas, j’ai descendu la pente
Jusqu’au bord d’une gorge où j’entendais parfois
Mugir les bœufs du pâtre et chanter une voix.
Là, tapi sous la feuille, et dérobé derrière
Les troncs des châtaigniers qui bordent la clairière,
Sans être découvert pouvant tout entrevoir,
J’ai vu ce que mon cœur aimait à concevoir :
Une scène de paix, d’amour et d’innocence,
Que l’on rêve la nuit, et qu’éveillé l’on pense ;
Image innée, hélas ! d’un temps qui nous a fui,
Que comme un souvenir tout homme porte en lui.


Des chèvres, des brebis et de grasses génisses,
Celles-là se pendant aux fleurs des précipices,