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deuxième époque.

Nous partons ; nous posons nos pieds audacieux
Où le chasseur des monts n’ose poser ses yeux ;
Nous enlaçons nos doigts crispés aux fils du lierre,
Aux cheveux de la plante, aux angles de la pierre ;
Du rocher chancelant qui s’enfuit sous nos pas,
Le bruit sourd et profond monte à peine d’en bas,
Et, des eaux du glacier dont la poudre s’élève,
Le vent nous frappe au front comme le froid d’un glaive.
Devant l’abîme ouvert que ces eaux ont fendu,
Mon pied cloué d’horreur s’arrête suspendu ;
Du noir pilier des monts la colonne d’écume
Tombe en rejaillissant dans le gouffre qui fume,
Hurle dans sa ruine avec tous ses ruisseaux,
Remonte en blancs flocons, retombe en verts lambeaux,
Et remplit tout le vide, où flotte en bas sa foudre,
De vent, de bruit, de flots, de vertige et de poudre.
Un seul débris de roc que le fleuve a broyé,
Tremblant aux coups de l’onde, et d’écume noyé,
Comme un vaste arc-en-ciel appuyé sur deux cimes,
Se dresse en voûte immense et franchit ces abîmes.
Mon guide fait sur lui le signe de la croix,
Tâte d’un pied douteux les fragiles parois,
S’élance ; je le suis. Sous cette arche profonde,
Nous voyons à cent pieds cet ouragan de l’onde
Passer comme le trait qu’un regard ne suit pas :
Le pont miné, tremblant, résonne sous nos pas ;
Notre œil tourne, nos mains cherchent, notre pied glisse ;
Mais notre ange à nos yeux voile le précipice,
Et déjà nous foulons sur le bord opposé
Un vallon d’herbe en fleur par l’écume arrosé.


La nature en ce lieu, plus amie et plus douce,
Festonne les rochers d’arbustes et de mousse.