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jocelyn.

» Demain, je vais chercher d’autres vertes montagnes.
» Mais lorsqu’après l’hiver nous montons des campagnes,
» On nous donne en partant du pain pour tout l’été ;
» Tout ce pain est à vous, car vous l’avez goûté.
» Les bergers, dont souvent j’ai nourri la détresse,
» Remplaceront pour moi celui que je vous laisse.
» Mais vous ne pouvez pas me suivre au milieu d’eux :
» Ils se demanderaient pourquoi nous sommes deux ?
» Vos blonds cheveux n’ont pas durci dans les tempêtes ;
» La blancheur de vos mains leur dirait qui vous êtes.
» Vous ne pouvez non plus rester sous ce chalet,
» On le voit de trop loin fumer sur la forêt.
» Des soldats du bourreau ces routes sont connues ;
» Ils montent quelquefois jusque parmi ces nues,
» Pour aller de plus haut, sous leurs serres surpris,
» Comme l’oiseau de proie, épier les proscrits.
» Mais venez ; je connais une grotte profonde
» Qu’aucun autre que moi ne connaît dans le monde.
» Rien n’y peut parvenir que l’éclair et le vent,
» Et l’aigle que j’allais y dénicher souvent,
» Quand, dans mon jeune temps, le suivant sur ces cimes,
» Mon pied comme mon œil se jouait des abîmes.
» J’y puis monter encore avec l’aide de Dieu ;
» C’est pour vous que sa main m’a découvert ce lieu ;
» Vous y vivrez de peu, mais sans inquiétude,
» Si votre ange suffit à votre solitude.
» On y peut puiser l’eau dans le creux de sa main.
» Et quand je penserai que vous manquez de pain,
» Tous les deux ou trois mois, sans qu’on puisse me suivre,
» J’apporterai de loin ce qu’il vous faut pour vivre.
» Remarquez bien la gueule ouverte à ce rocher,
» Venez de temps en temps sous la brume y chercher ;
» Car lorsque je viendrai vous porter votre vie,
» Je n’irai pas plus loin, de peur qu’on ne m’épie. »