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première époque.

6 juin 1786.

Ce fut hier. Le jour mélancolique et sombre
Semblait de ma tristesse avoir revêtu l’ombre :
On eût dit qu’à son tour l’âme de ce beau lieu
Voulait sympathiser avec ce jour d’adieu,
Tant le ciel était gris, tant les vents sans haleine
Laissaient pencher la feuille et l’épi sur la plaine,
Tant le ruisseau dormait en retenant sa voix,
Tant les oiseaux cachés se taisaient dans les bois !
Tout se taisait aussi dans la maison fermée ;
On n’osait regarder une figure aimée ;
Quand on se rencontrait, on n’osait se parler,
De peur qu’un son de voix ne vînt nous révéler
Le sanglot dérobé sous le tendre sourire,
Et ne fît éclater le cœur qu’un mot déchire.
On allait, on venait ; mère, sœur, à l’écart,
Préparaient à genoux les apprêts d’un départ ;
Et chacune, les mains dans le coffre enfoncées,
Cachait avec ses dons une de ses pensées.
On s’asseyait ensemble à table, mais en vain ;
Les pleurs se faisaient route, et coulaient sur le pain.
Ainsi passa le jour ; et quand la nuit suprême,
Nuit qui doit pour jamais séparer ce qui s’aime,
Eut jeté sur nos yeux des voiles plus épais,
— « Allez, dis-je à ma mère, et reposez en paix !
» Reposez votre cœur de soupirs et de larmes,
» Bénissez votre enfant, et dormez sans alarmes :